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-But if you'd rather watch a movie, you're also welcome at
Disorder in Discipline-



Sunday 29 March 2009

Serge July, Dis maman, c'est quoi l'avant-guerre? 1977-1979



La patronne (comme on le surnommait au service ciné… même s’il est difficile de faire plus hétéro que S.J.) Pendant les sept ans où il fut mon rédac chef à Libé, on ne s’est parlé qu’une fois, brièvement, lors d’un déjeuner à Cannes. Je m’étais tâché la minute avant avec une brochette de poisson arrosée d’huile d’olive, et j’ai passé une partie de la conversation, très sympa au demeurant, à m'enrouler dans une feuille de palmier géante tout en m’aspergeant de sel - c’est ce qu’il y a de mieux pour boire les tâches de gras, ça vaut aussi pour le vin - pour l'avancement, en revanche... Anyhow, un mois après, S.J. négociait la survie de Libé contre son départ, et on a pu assister devant l'annonce de ce mauvais deal à un mélange d’émotion vive et de sentiments confus dans la vis du journal : une partie de la rédaction, la plus jeune souvent, ne savait plus trop quoi penser de July, l’image du grand patron de presse, médiatique mangeur de « caouettes », nous faisait vaguement chier, et l’édito sur le référendum européen avait fini de déterrer la hache de guerre. Les plus anciens, eux, accusaient le coup. Ils se souvenaient que dans une précédente vie, Serge July avait été journaliste.
En juillet 2006, deux mois avaient passé depuis ce départ, j’ai trouvé ce livre de poche dans un puce du sud de la France. Une guerre subite venait de s'abattre sur le Liban, mon billet pour Beyrouth prenait la poussière, obsolète. Impuissant, je regardais Euronews en boucle, et, back to the future, le titre de cette compilation d’article écrits entre 1977 et 1979, semblait tout à coup me parler sans détour de cet été violent. J’étais dans un de ces moments où, maman, on ne voit plus du tout à quoi ça pouvait bien ressembler, « l’avant ». Ce truc, je l’aurais acheté de toute façon (un livre introuvable ne se refuse pas) mais il n’est pas dit que je l’aurais commencé dans l’après-midi. Là, chaque jour de ce mois de juillet de saccage, pour tenir, pour ne pas devenir fou, j’ai replongé dans cette façon Libé de faire du journalisme qui était alors sans équivalent dans la presse quotidienne en France (le gonzo + l’engagement, pour aller très très vite), et qui, parce qu’elle s’étalait sur trois années très très chargées en mutations historiques (le passage aux années 80 s’est joué là, entre 1976 et 1979) traversait une suite de faits qui constitue aujourd’hui, 30 ans après, un imaginaire : Mesrine, assassinat de Pierre Goldman, Bazooka fout la merde (à Libé, à Actuel, à Métal, partout : punks), la RAF, L’IRA, mais aussi l’IRAN (le papier le plus craignos à relire aujourd’hui, puisqu’on sait qu’il n’y avait vraiment pas de quoi se réjouir de la révolution islamistes), Khomeiny, Carter, Giscard, le Palace, Apocalypse Now, Lauren Bacall sur le plateau d’Apostrophe (« Quand tu as besoin de moi, siffle »), l'exécution d’Aldo Moro, le suicide de Robert Boulin, tout se mélange - plaisir. Tout ça écrit à vif, au jour le jour, dans la vitesse du quotidien (qui, j’en reste persuadé, constitue la dope la plus puissante et la plus additive qui soit).
L’histoire, ce n’est pas que ses articles étaient bons, mais bel et bien qu’ils aient autorisé tout un journal à se lâcher totalement. En retour, la façon dont le journal collectivement s’écrivait l’obligeait lui, le redac chef’, à tenir cette rythmique puissante, forcément puisante. Surprise, en 2006 tout ça avait incroyablement passé la rampe du quotidien et celle, plus ingrate, du temps – cela due en partie à cette tension nerveuse farouche, cette urgence comparable au type de décharge immédiate qui ressort, pour prendre un exemple d'époque, d’un titre comme Damaged goods de Gang of Four.
July, on lui en sera grès, n’a jamais essayé de jouer au punk. Il n’a d’ailleurs, je crois, jamais compris grand chose à la musique (c’est du reste un bon cinéphile et un amateur de polar éclairé), mais il a décidé, au moment même où l’extrême gauche vivait un impasse, à Libé comme ailleurs, d’ouvrir le journal à Pacadis, Bayon, aux Bazooka, c’est à dire à des anti babas (le lectorat naturel du Libération première mouture) qui tenaient le laboratoire de l’époque : en goût, en style de vie, en mode graphique comme en écriture. La leçon, si leçon il doit y avoir, est là.
Aussi je tiens ce livre, où il n’est jamais question de musique, comme un livre sur le punk et l’after punk. Il est venu se ranger naturellement, entre Novövision et Mémoires d’un jeune homme chic. Après tout, le bon Dr Thompson n’a jamais rien écrit lui non plus sur la musique et vous le rangez bien aux cotés de Lester Bangs. Vous doutez ? Vous croyez que je m’apitoie, que je vieillis, que le culte du chef me foudroie bien tard ? Mais alors, comme écrivait Daney au moment du suicide d’Althusser «On s’est choisi des maîtres et on s’est débrouillé de les choisir faibles». Disons, pour aller vite, que je garde juste en mémoire à quel point Libé a quand même été un journal, ou une utopie de journal, comme il n’en arrivera sans doute jamais plus. La patronne fout la merde ? Alors enchaîne.

«On écrit pour freiner les dérapages de la pensée. On écrit pour calmer une bouffée de haine, une envie de tuer. On écrit pour essayer de s’y retrouver dans la béance qu’ouvre invariablement la mort lorsqu’elle se produit à vos cotés. On écrit parce que l’effroi du non-sens fait comme un caillot dans la gorge, et qu’on le sent remonter dans le cerveau. On écrit pour retenir le temps qui d’un seul coup vient de prendre une sérieuse avance. Hier, 20 septembre 1979, Pierre Goldman a été assassiné par un groupe « Honneur de la police»".

Serge July, Dis maman, c’est quoi l’avant-guerre ?, Alain Moreau, 1980.

Sunday 22 March 2009

Jeremie Atlab, L'Homme sans profondeur-Eloge, 20?








(Chronique m'ayant ete envoyee par F.B.)


Essai, divagations, pensées… comment qualifier cet ouvrage. Nous en croisons de tels tous les jours sans le savoir. Ils nous croisent dans la rue, et nous ignorent tout autant que nous les ignorons. Ils guettent, tapis dans l’ombre des circonvolutions cérébrales, attendant un hypothétique moment favorable, un Kairos incertain.
Visiblement, Jérémie A. n’aime ni ceux qui savent et le font savoir, ni ceux qui cherchent la lumière en pensant la trouver dans l’obscur. Il croit que tout est là sous nos yeux, à condition de les laisser ouverts, au delà des mots, opaques paupières nécessaires. Partisan d’une superficie sensible qui se plisse et se ride au moindre des mouvements qui la contraignent. Il y a dans sa vision des choses quelque chose d’organique, d’inscrit dans l’expérience du corps, dans son anatomie même. Ainsi cette idée que nous ne connaîtrions le monde qu’à travers la mort qui nous le rend supportable, la mort qui enveloppe notre peau de cette minuscule couche cornée que nous oublions et qui amortit le contact avec l’extérieur. C’est un drôle de partisan de l’extrême que nous rencontrons au fil des pages. L’extrême Centre. Pas un centre de moyenne, mais un centre qui retrouve l’étymologie d’une médiocrité revendiquée : le juste équilibre, qui n’est pas au milieu de deux pires, mais une autre voie interdisant les deux autres. Embarqués dans le même monde, vers un avenir commun, il n’est plus possible de rêver passer par dessus bord les passagers indésirables qui dans un univers devenu bouteille de Klein, fait retomber ces intrus dans le bateau même alors qu’on les pensait à la mer. La pensée écologique, la pensée de ce qui relie, est sans doute le fil invisible qui relie des chapitres aussi divers et désappareillés que « de l’importance du vide pour le mouvement », ou « pourquoi les hommes se battent-ils pour construire ce qu’ils ont déjà : leur autonomie ? » en passant par « l’invention du mérite comme justification du crime »…. Un extrait, au tout début de l’ouvrage :

« L’homme le plus profond ne pourra guère aller bien loin. Songeons qu’un mètre de profondeur, ça représente un tour de taille de 3,14116 m, ce qui suppose un individu qui, loin d’avoir des pensées profondes, devrait plutôt se préoccuper de son poids et de sa santé. Ce n’est donc pas en soi-même que l’on pourra trouver du profond. Quant à l’extérieur… Nous ne sommes pas fait pour supporter les tonnes de pression des grandes profondeurs marines, pas plus que pour survivre à l’anorexie des 80000 mètres d’altitude. Les explorateurs de ces extrêmes ont besoin de courage – et de prothèses adaptées à leurs ambitions – certainement pas de profondeur. Nous sommes faits pour penser à peine plus haut que les pâquerettes. Ce qui n’empêche absolument pas de songer aux mystères des abysses, ni de contempler rêveusement les sommets enneigés. Ce qui entraîne une nostalgie pascalienne emprunte de modestie… et des chances de nous rendre plus humains, plus proches les uns des autres, plutôt que profondément supérieurs… Il y a déjà bien à faire à la surface du monde pour ne pas le perforer de partout, le creuser avec un acharnement qui ne creuse que la tombe dans laquelle nous nous retrouverons au bout du compte. Caressons le monde, arrêtons de le défoncer bestialement !... »

lisez-le dès que je l’aurai écrit…

Jeremie Atlab, L'Homme Sans Profondeur-Eloge, Editions de l'Absence.

Saturday 21 March 2009

Var., African American Vernacular Photography, 2005


juste un petit mot en passant, reaction rapide (parfois il en faut) au livre de photos "betes et mechantes" poste par P.A. ci-dessous... Bouquin achete chez un soldeur ce matin, par hasard. Dans la categorie "beaux livres" que je n'explore que rarement, c'etait celui la ou l'impayable (et deja rare-on en reparle) Dans les Secrets de La Police... Peu ou pas de texte ici, Pas de legende explicative, que des portraits, solitaires ou de groupes. Ce qu'est etre noir aux Etats-Unis entre la fin de l'esclavagisme et les annees 30: la pauvrete, la mort, l'emancipation, des nouveaux canons de beaute et une nouvelle classe sociale, du coton au beton, le blues des champs et le blues du ghetto... Cette belle douleur (sans condescendance/mauvaise conscience ni miserabilisme de blanc-bec) on la connait en musique, un peu en livres... On la sait dure a cadrer, a evoquer sans cliches (excuser les jeux de mots). D'une belle neutralite, cette petite collection laisse parler les regards qui ont tant a dire.

African American Vernacular Photography, Selections From the Daniel Cowin Collection, ICP/STEIDL, 2005.

Friday 20 March 2009

Taroop & Glabel, Aucune photo ne peut rendre la beauté de ce décor, 2003


Un livre hyper con, sans doute méchant, mais je n’en connais pas de plus drôle - celui-là, il faudra employer la menace pour me l'arracher des mains. Les auteurs sont surement deux artistes contemporains, avec ce que le terme sous-entend d’ironie obligatoire. Ils ont découpé au ciseau et collecté pendant un temps donné des photos légendées dans la P.Q.R. La quoi ? La Presse Quotidienne Régionale, dont les journalistes sont un peu les soldats du feu de l’information. Des gens qui ont pour mission impossible de remplir une ou deux pages chaque jour sur des bleds où il se passe un truc tout les 1000 ans. Pour qui connaît d'expérience le manque de désir qui hante le 3/4 des textes de la grande presse nationale (supposée heuu... noble), ces 125 perles sublimes ne sont jamais que l’exagération lénifiante de notre grand tout-à-l'égout spectaculaire.
Aucune photo ne peut rendre la beauté d’un hôtel des impôts rénové, d’un Bricorama flambant neuf, d’un loto de Noël disputé. Vous aimeriez, vous, avoir à écrire au retour du déjeuner deux feuillets inspirés sur l’inauguration d’une maison de retraite, d’un parking, ou sur une empoignade sportive entre deux clubs boulistes? Et avec ça, pondre une légende sentie sous une photo mal cadrée, mal éclairée, prise au pire moment. C’est forcément gratuit, moqueur et sans doute théoriquement intéressant (pour qui s’intéresse au vide, au désert culturel rural, au nul et peut-être encore plus pour moi qui n’ai jamais rien capté à la France et qui feuillette ce truc comme on regarde un atlas). Mais il faut juste avouer qu’avec tous les efforts du monde, aucun Houellebecq assermenté n’aura jamais le génie comique du pigiste anonyme qui, sous une photo de trois couples de vieux valsant dans un bal à demi vide, aura trouvé judicieux de faire remarquer que les participants avaient eu le loisir ce jour-là d’étrenner le nouveau parquet.

Taroop & Glabel, Aucune photo ne peut rendre la beauté de ce décor, Semiose éditions, 2003

Tuesday 17 March 2009

Fabrice Villard, Le Carnet, 2008

(Cette Chronique m'a ete envoyee par M.F.B., lectrice assidue et aussi ma maman.)

L'auteur en a un dans sa poche en permanence, c'est sûr et il note tout ce qui lui passe à portée d'oreille et de vue,principalement le cocasse, l'incongru, le bizarre, le simple aussi, mais décortiqué de telle façonqu'il nous transporte dans un autre univers. Fabrice Villard, l'auteur nous invite en effet dans son univers loufoque et pourtant il est extrèmement rigoureux quant au maniement de la langue.


Celle-là, il la triture, la tord, la contorsionne, en extrait tout le jus possible, la soumet, la séduit, la consomme en poursuit tous les recoins jusqu'à la dernière lettre, jusqu'à extinction de voix.

Car il faut le dire, l'auteur aime dire ses textes en public et quand on le lit, ça s'entend, ce n'est pas pour rien qu'il est aussi musicien: assonances, douceurs, claquements, grondements, tout concorde pour asseoir personnages et situation dans la plus parfaite congruence.
Son ressort comique principal est la répétition, la répétition toute bête à laquelle le petit rajout, le petit truc de plus modifie d'un coup la vision qu'on croyait assurée. Il adore ça: vous emmener, vous asseoir, vous cajoler et puis vous lâcher au bord du vide ou vous retourner, bref, vous priver de toute certitude.

C'est un poète qui ne se prend pas pour, il se prend plutôt les pieds dans le tapis et ça le fait rire.
Son amour des mots, son envie de jouer avec la langue est plus fort que tout, au fond, il s'équilibre de ça, de ce jeu
où perdant sans cesse son appui, il ne peut qu'aller de l'avant et se rattraper comme il peut. Probable cascadeur refoulé.

Dommage qu'on ne trouve pas encore cet ouvrage très facilement, mais il vaut le coup, à lire à haute voix, sans modération. Un extrait:

"j'ai oublié
j'ai oublié la suite
mais
je n'ai pas oublié
le début
je n'ai pas oublié le début de mon texte
au début de mon texte
alors au début de mon texte
j'ai un petit sac
alors c'est un petit sac marron
sa-que marron
alors c'est un petit sa-que marron vous vous souvenez
en toile épaisse
avec une bride mais pas de poignée
une sorte de besace
qui présente deux caractéristiques remarquables
d'abord un système de fermeture
en trompe l'oeil
faussement factice
parce qu'en fait c'est un vrai système de fermeture
mais pas pratique du tout"........

On finit par être hypnotisé et on entre doucement dans un hors-sens étrange, alors que pourtant,il n'y a que du desciptif et du familier. M.F.B.

Fabrice Villard, Le Carnet, Editions de la Fenetre, 2008.








Monday 16 March 2009

Anna Kavan, Asylum piece, 1940

A l’origine, la photo d’une femme au visage serein, souriant…
Derrière laquelle se cache un monde asilaire, une femme glaciaire, lointaine, un écrivain hors du commun.
Plus encore que celle de Jean Rhys, la vie d’Anna Kavan (aka Helen Ferguson – marquée par la lecture de Kafka, elle choisira le patronyme de Kavan) fut une longue dérive faite de solitude et d’états limites; une suite de suicides manqués, d’internements, de fuites désespérées à travers le monde (Birmanie, Nouvelle-Zélande, Scandinavie, Afrique du Sud…), autant de voyages rattrapés par l’héroïne, qui finissait toujours par l’emprisonner dans ses serres. Le monde blanc qui habite son œuvre en est l’écho permanent. On n’appelle pas impunément un de ses romans Neige…

Transcription lancinante de la folie, du rêve, des « machines dans la tête », Asylum piece (1940) est la fiction anamorphosée de l’inconscient d’un écrivain, qui passa sa vie à lutter contre l’anéantissement. Décomposé en petites « scènes » visionnaires, ce court texte précurseur retrace l’expérience psychédélique de longs séjours en hôpitaux psychiatriques... Où des êtres humains, perdus dans les dédales de leur délire, enlisés dans un tissu d’irréalité, essaient en vain de communiquer avec d’autres - qui ne pourront jamais leur répondre. Cette lutte avec le monde réel raconte des pays de fiction et des villes indéfinissables. Tel un Redon écrivain, un De Chirico liquide, une Delvaux hypodermique...

Elle disait : Mon âme en Chine… Et la métaphore traduisait son état de défonce sous la forme d’un espace-temps inconnu… un territoire halluciné, reculé; échappée belle pour celle qui, se sentait coupable d’être là. La fin viendra un jour de décembre 1968, sa fidèle seringue chargée d’héroïne- son « Bazooka » comme elle se plaisait à la nommer- posée à côte de son lit… Elle venait d’avoir 67 ans.
Ici s’achevait l’errance d’un être pas tout à fait humain, une étrangère au monde comme à elle-même, et qui disait n’avoir « Ni corps, ni identité »… Huit jours avant sa mort, elle terminait une lettre adressée à l’écrivain de science-fiction Brian Aldiss, par ces mots :
« Excusez le caractère désordonné de ce billet. Je ne me sens pas vraiment humaine, en ce moment ».
Nous non plus, à vrai dire...



« J’avais un ami, un amant. Ou l’ai-je rêvé ? Tant de rêves m’assaillent désormais que je peux à peine distinguer le vrai du faux : des rêves comme de la lumière emprisonnée dans de brillantes cavernes minérales, des rêves lourds, brûlants, des rêves de l’air glaciaire, des rêves comme des machines dans la tête. Je suis allongée entre le mur nu et le remède amer qui forme un dépôt dans le verre nain, et je m’efforce de me souvenir de mon rêve.
Je me vois en train de marcher la main dans la main avec quelqu’un d’autre, un être humain dont le cœur et l’esprit ont poussé dans mon cœur et mon esprit. Nous nous promenions ensemble sur beaucoup de routes dans la clarté du soleil (…). Il y avait entre nous une compréhension sans réserve et une paix indestructible. Moi qui avais été solitaire et inaccomplie, j’étais alors exaucée. Nos pensées couraient ensemble comme des lévriers, avec la même rapidité. A l’égal d’une musique, nos pensées étaient la perfection même. »


Anna Kavan, Une représentation à l’asile, Christian Bourgois, 1983.

Claude Olivenstein, L'homme Parano, 1992.


J'ai écris un premier truc au début du blog et après,je me suis senti un peu complexé devant la qualité des compte-rendu qui ont suivi.Je ne suis pas critique littéraire,j'ai du mal à écrire,je fais des fautes d'orthographe et écrire sur un livre m'est presque aussi difficile que de le faire sur la musique.Je suis plus oral qu'écrit.
Mais après tout,je ne suis pas Bernard Pivot mais Gilbert Cohen et quand j'ai montré le blog à Mr Oizo,il m'a dit qu'on avait rien compris et qu'un blog,ça devait être forcément mauvais.Dans ce cas...
Un livre,on l'apprecie quand ça fait echo à quelque chose de profond en nous...Chez un bouquiniste,metro Jourdain,un livre m'a fait ostensiblement de l'oeil:"L'homme parano" du professeur Olivenstein,décédé aujourd'hui et qui fut celui qui poussa fort pour que la methadone soit fournie aux junkies, et un grand specialiste du sevrage.
Depuis le temps que mes amis me disent que je suis parano;enfin un livre qui allait cliniquement m'éclairer.Et je ne fus pas déçu,au contraire:ça fait du bien de savoir ce qui parfois nous fait réagir étrangement,parfois à la limite du délire,du vrai...
Eh oui,selon le prof,et selon moi,je suis complètement pararoniaque.Un parano est un hypersensible hyper-interpretatif.On cherche un sens à tout,sur tout,surtout dans ce que nous disent les autres.Plus ils sont proches,plus on cherche du sens.Plus ils nous aiment,plus on trouve ça suspect,bref,ç'est vraiment chiant!Ca vient contrecarrer la vision qu'on a de soi et des autres.Vision qui prend sa source dans les traumatismes de l'enfance.Ah maman,merci!!!
Si tu oscilles entre des moments de grande euphorie et de désespoir le plus noir en 2 jours,ce livre est pour toi.Si tu penses savoir parfaitement décoder la personne qui t'aime(ou qui le pretend,comme dirait le bon parano que je suis)ce livre est pour toi.A travers différents chapitres assez courts(la drogue,la depression,l'amour...)une plongée au coeur de la parano.Le style n'est pas du tout technique,comme on pourrait s'y attendre de la part d'un psychiatre d'une telle trempe.Certes il y a parfois quelques clichés(Hitler et Staline,ces grands paranos bla bla bla)Mais dans l'ensemble,de l'eau a été apporté à mon moulin.Heureusement,il ne dit pas comment s'en sortir...ça ç'est le bouquin que je prepare"La parano:comment s'en sortir",écrit en collaboration avec toute ma famille,à paraitre en 2030 aux Editions de l'Espoir...

"Un évènement peut être banal en soi;vécu dans la démesure,il se transforme en autre chose que ce qu'il est.C'est la démesure qui donne le sens,non l'évènement lui même.Sur le coup,l'évènement peut être contrôlé,et enfoui.Après un temps d'incubation,un petit déclic,un presque rien,peut réveiller à une virulence extraordinaire,qui va se developper en système d'auto-punition,lequel,à son tour,peut amener à un passage à l'acte démesuré,incongru,apparemment immotivé"


Friday 13 March 2009

Rudolph Wurlitzer, The Drop Edge of Yonder, 2008

On avouera notre ignorance de la litterature western. On peut soupconner qu'elle se limite, contrairement au roman noir, a de la pulp fiction bon marche, surannee, seulement si affinites. Bien sur, certains ecrivent dans l'ouest (McCarthy), mais la, c'est un truc un peu different. The Drop Edge of Yonder est bien un western, plus que beaucoup d'autres en tout cas, mais bien loin de Buck Rogers...
On pourra pour une fois jouer aux jeu des associations, parce que c'est, ici, une bonne a introduction a un bouquin impressionant. Alors:

le Keoma de Castellari
+
Celine (vernaculaire)
+
Conrad d' Au Coeur des Tenebres
+
La Conjuration des Imbeciles
+
The Proposition, western australien ecrit par Nick Cave.
+
Patti Smith, Burroughs et Dennis Cooper sont fans declares de Wurlitzer

...pourrait etre une formule. Il en existe des centaines d'autres puisque Wurlitzer ne vous fait pas prisonnier. The Drop Edge of Yonder est un livre violent (mais pas spaghetti), drole, sale, mystique, realiste fantastique,un beau bordel... C'est surtout une grande histoire d'amour entre un outlaw et une pute (ce sont les plus belles, comme il se doit). Si le livre peut derouter dans ses premiers pas (confus, hache, sauts de pages et de puces), c'est juste un rhythme a prendre. Le vrai cadeau, outre le rappel en ces triste temps de la verite de l'amour fou, c'est la langue de Wurlitzer, langue de putes, de bandits, d'indiens, mexicains, de marins et de prisonniers, la conquete de l'or par son argot:

"Gold? This coon has picked up more oro and Sonoma lightning than you can shake a stick at. Made and lost more than one fortune. Even place gold nuggets on the dead eyes of a mexican girl gut-shot in Sonora fer' givin a poke to the wrong customer at the wrong time. Gold was my music, my fiddle and my piana, all seranadin' the clink of pick axes and the grind of shovels, washin' pans and rockers-all shakin' for pay dirt. (...)Yes sir, I've been on the Feather and South Fork and down to the Agua Fria, went bust on the Mariposa, struck pay dirt on Sullivan's Creek, bought me a saloon and lost it the next week in Placerville, struck a fat vein north of Virgina City and was robed down to my boots by my partner; took me a year before I nail his scalp to the church door in Sutterville. Spent very haul faster'n made it. Call it what you want: trailing for salvation, or any damn thing.





Rudolph Wurlitzer, The Drop Edge of Yonder, Two Dollar Radio.



Louise Brooks, Loulou à Hollywood (mémoires), 1974-1982
























Jolie fille, livre mince – nous n'aurons de pitié pour aucun préjugé facile…
Louise Brooks écrivait. Et bien entendu ça ne pouvait être que faible, puisqu’elle était belle. D'une beauté vénéneuse, actrice mais encore, scandale ambulant mais encore, moderne et américaine, fille du jazz et de l'Hollywood Babylone, corps libre et esprit moqueur, elle embrasa toutes les années 20, choquant jusqu'au Berlin des années de décadence qui s'effraya de Loulou et la traita en putain... On ne vit qu'une fois.
En 1974, trois décennies et demie après avoir quitté le cinéma, consciente d’y avoir échoué comme de n'y avoir jamais trouvé sa place, elle délivra à Sight & Sound et Film Culture (équivalents anglo-saxons des Cahiers du cinéma, rien que ça) une suite d’articles cassants qui aujourd'hui font, bon grès mal grès, autobiographie. Ces «Mémoires» sont ce qu’on peut trouver de plus lucide, de plus méchant (mais sans l’amertume minable de ceux qui écrivent pour régler leur compte), de plus métallique sur le statut de star dans l’empire hollywoodien naissant.
Ecriture impitoyable (sur la folie Hollywood quand elle vous broie) - et affolante, aussi : chaque article livrant sa description minutieuse de dix années de parties dans des piscines de vrai marbre, où le champagnes coulait à flots sur des robes se décolletant enfin, la lost generation éperdue à coups de fêtes embouties les unes après les autres. Tout ça raconté par celle qui en était le centre d’attraction sensoriel, mais qui pouvait revendiquer au milieu de l’orgie le droit à la solitude. Ne serait-ce que pour aller dévorer des livres : «Je suis l’idiote la plus érudite du monde ».
Pas facile d'être une Fitzgerald au féminin, et elle s'était en conséquence trouvée pour seule amie intime Pipi Lederer, la plus grande lesbienne d’Hollywood - en 1925, aux connards que cette amitié catastrophait, Louise B. répondait que rien là ne faisait problème, qu'elle voyait chez Pipi "une forme d'amour totalement naturelle".
Mais le pire, c’est que la meilleure actrice du muet écrivait comme un punk tout en se payant le luxe d’avoir les goûts les plus sur en matière de cinéma - l’article qu’elle consacra à Humphrey Bogart, cet homme qui manqua plusieurs fois d’être son amant, est un sommet d’intelligence critique, un exemple d’analyse de jeu. Toute résistance, s'il y en avait encore, tombe quand, en dernier éclat iconoclaste, elle y désigne le sous estimé In a lonely place (le Violent, de Nicholas Ray) comme meilleur rôle que Bogart ait jamais interprété – ce choix résolument snob, elle le partage avec le Colonel Gatitox, et avec moi aussi.

Que cette fille ne soit plus en vie pour écrire dans Discipline in Disorder et faire après la fête avec nous (si vous saviez comment elle dansait…) est une des grandes injustices de notre époque pourrie.


(La preuve par trois….)

«Quand j’ai quitté Hollywood pour toujours en 1940, je pensais que m’en éloigner me guérirait automatiquement de cette maladie pestilentielle plaisamment surnommée là-bas l’ »Hollywoodite ». Je me suis d’abord retirée à Wichita, chez mon père, mais j’ai découvert sur place que mes concitoyens ne savaient vraiment pas s’ils me méprisaient d’avoir réussi, après m‘être sauvé, ou bien de revenir parmi eux après mon échec. Trois ans plus tard, je me suis installée à New York où je m’aperçus que la seule carrière rémunératrice à laquelle pouvait prétendre une actrice ratée de trente-six ans était celle de la galanterie. Alors j’ai fait une croix sur mon passée, refusé de voir les quelques amis de cinéma qui me restaient et me suis mise à flirter avec des mirages engendrés par des petits flacons de somnifères jaunes.»

"J’affirme catégoriquement qu’à l’époque de Bogart rien ne ressemblait plus à l’esclavage qu’une carrière de star de cinéma. Il ne décidait seul que sur un point : signer ou non un contrat. Dans l’affirmative, il devenait la proie des cosignataires et des distributeurs de films. S’il ne signait pas, il n’était plus une star.»

«Berlin – capitale tout entière en proie à la sexualité – avait rejeté le réalisme de Loulou. Pourtant en 1929, à l’hôtel Eden où j’étais descendu, le café-bar fourmillait de grues de haut vol. Les filles moins huppées racolaient sur le trottoir. Au carrefour, on trouvait des tapineuses en bottes à lacets – enseigne discrète de leur spécialité : la flagellation. Des impresarios s’entremettaient également auprès des cocottes en appartement du quartier de Bavière. Les pronostiqueurs de courses hippiques de Hoppegarten organisaient des partouzes pour les sportmen. A l’Eldorado, une boîte de nuit, les travestis pullulaient. Au Maly, c’étaient des lesbiennes à faux col et cravate.»

Louise Brooks, Loulou à Hollywood, éditions Tallendier, 20O8

Tuesday 10 March 2009

Richard Matheson, Le Jeune homme, la mort et le temps, 1975


Beau titre, inhabituel-lement poétique pour un roman de science-fiction, mais en 1975 l’immense popularité de Richard Matheson, acquise avec l’Homme qui rétrécit et Je suis une légende, pouvait permettre cet écart-là.

Le jeune homme du titre va sur ses 37 ans (c’est flatteur), mais il est condamné par la médecine (c’est insurmontable). Ceux qui me connaissent savent que j’entretiens une obsession maladive pour le temps qui passe et les âges charnières. J’ai eu 37 ans en juillet dernier. L’heure de me faire la remarque que certains de mes héros ont abdiqué à cet âge-là : Jeffrey Lee Pierce, retourné se saouler chez son père dans l’Utah, Epic Soundtracks, retrouvé dans son appartement de West Hampstead à Londres 12 jours après son trépas, Rainer Werner Fassbinder, overdosé par la surabondance de sa propre productivité. D’autres ont héroïquement attendu d’avoir 37 ans pour prendre un nouveau virage: Nicholas Ray (dont on devrait reparler ici même et sous peu) qui en l’année de cet âge franchit pour la première fois le porche d’un studio d’Hollywood. On ne peut pas dire qu’il y fut très heureux, mais il nous reste les films. C'est déjà ça. 36, 37, 38 ans : zone dangereuse... On la passe, ou pas, on se casse, où ça ? Chez les déjà-morts. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Matheson.

Apprenant qu’il est atteint d’une maladie incurable, Richard Collier (qui vivote comme scénariste à Los Angeles) prend le volant de sa Ford Galaxie bleue marine, longe la route de Long Valley, fait ses adieux à Hidden Hills, dépasse le Hollywood bowls, rate l’embronchement de l’autoroute de Harbor, et se perd jusqu’en bordure de mer, échouant dans un hôtel d’une autre époque. Grand, vide, désuet. Il en est le seul client, sinon le dernier. La bâtisse est toute à lui, et les tennis, et l’océan Pacifique, et le bar... Il déambule à loisir dans ce décor Prince-De-Galles, contemplant l’éternité accrochée aux murs, ces dizaines de photographies scéllant à tout jamais le spectacle d’une granndeur passée, ce temps où la salle de bal du Coronado était un lieu de réception chéri du tout Hollywood. Un visage sur une photo l’intéresse, une actrice oubliée du muet, beau minois, grands yeux. Très vite il ne pourra plus se détourner d’elle, foudroyé d'un amour série B, ne pensant plus qu’à ça: se fondre en elle – littéralement. Restant planté là des jours, fixant la photo jusqu’à s'en provoquer des autohypnoses. Pour tenter de la rejoindre, là-bas en 1896 - où il ne sera plus ce vieux jeune homme en sursis, mais où le temps s’ouvrira entièrement à lui. L’infini a tout d'un coup l'étendue d’une photo sépia.

Sorti en hardcover chez Viking Press en avril 1975, soit en pleine vague Rétro, la réputation de Bid Time Return n’a pas dépassé le cercle des amoureux de SF. Deux ans plus tard, un jeune blanc-bec ambitieux, et plus malin que le vieux Matheson ne l’a jamais été, vendra à Kubrick un roman dont il oubliera de dire à quel point il lui avait été inspiré par la première partie du Jeune homme, la mort et le temps: Shining l’enfant lumière.
Stephen King s’est souvenu du vieil hôtel hanté, du couloir d’infini et des lambeaux d’éternité, des morts qui à partir d'une photographie remontent nous visiter – à moins que ça ne soit nous qui tombions en leur abyme.
Il lui a surtout substitué une violence contemporaine, un Barnum terrifiant à base de psychoses oedipiennes, d’enfant sur roulettes, de coups de hache donnés dans la porte et de regards injectés de sang. Un arsenal paranoïaque si loin du livre de Matheson, qui était plus mélodique, et ne songeait au fonds qu’à une chose: s’intoxiquer à coup de souvenirs, et prendre la fuite. Un film adapté du Matheson sortira en 1981 (Somewhere in time, avec Christopher Reeve et Jane Seymour)… soit un an après Shining. La critique l’a jugé avec mépris, comme on juge un plagiaire. Le cocu de l’histoire.


«Je suis assis dans un fauteuil géant sur la mezzanine dominant le hall d’entrée ; devant moi, il y a un lustre énorme d’où pendent des cascades de lumières voilées de rouge et des colliers de cristal. Le plafond est complexe et richement décoré, avec des lambris sombres brillant comme des miroirs. Il règne un silence presque palpable. Qui s’est assis dans ce fauteuil avant moi ? Combien de gens ont contemplé, à travers ces balustres, le va-et-vient des hommes et des femmes qui entraient et sortaient, qui attendaient ou bavardaient. Dans les années 30, 20, 10.»

Richard Matheson, Le Jeune homme, la mort et le temps, Denoël, Présence du futur, 1977

Wednesday 4 March 2009

Vuillemin - Frisson de bonheur - Albin Michel 1983


La lecture récente de l'épatant Pinocchio de Winschluss m'a donné envie de me replonger dans les grands classiques de la ligne crade, ce style tout en taches et noirceur qui se répandit dans les pages de Métal Hurlant en même temps qu'y florissait la ligne claire de Chaland et de Joost Swarte.

Le noiraud petit aveugle qui croise à plusieurs reprise le chemin du Pinocchio de Winschluss m'a en effet fait irrésistiblement penser à l'un de ces puceaux transpirants dont Vuillemin aimait à peupler ses planches dans ses premiers albums, comme ce "Frisson de bonheur" millésimé 1983. C'était l'époque où il dessinait pour le Hara-Kiri de Choron, et où il n'avait pas encore trouvé ce style rond de Walt Disney de fosse septique qui est désormais sa marque de fabrique, dans Libération ou pour ses Sales Blagues de L'Echo.

Et c'était l'époque où il n'était pas loin d'être le meilleur dessinateur d'humour de la BD franco-belge (avec Francis Masse). Ses histoires étaient absolument révoltantes (et donc immensément jouissives) : on y respire la bêtise, la peur, la lâcheté, le stupre, tous les personnages sont des salauds ou des cons (et souvent les deux), et à la fin, le faible se fait toujours enculer par le fort (Vuillemin compris, photographié à poil les fesses à l'air devant un adjudant la canette à la main dans l'un des photos-montages hara-kiresques du recueil), le tout servi par un graphisme haché et anguleux qui donnait à ses dessins un côté menaçant que ses gros bonhommes d'aujourd'hui n'ont plus du tout.

On trouve dans "Frisson de bonheur" quelques histoires signées Gourio, avec qui il fera plus tard le célèbre et scandaleux "Hitler = SS" - mais, comme dans "Hitler = SS", la profanation systématique des thèmes sacrés de la gôche allourdit plus ces histoires qu'elle ne les sert. Par contre, seul, Vuillemin excelle dans ces récits simplement peuplés de zonards lubriques et de naïfs à dépouiller et violer (nous), où la peur et le rire se mêlent dans une réjouissante gerbe de mauvais goût.

Emmanuel Bove, La Coalition, 1927

Je ne sais pas si c’est le meilleur roman d’Emmanuel Bove, je n’ai pas tout lu, et lui préfère peut-être Le Piège, mais La Coalition ne vous lâche pas ou, plus précisément, on aimerait pouvoir l’oublier. Son thème en est simple : la déchéance d’une mère et de son fils qui errent dans Paris et se noient progressivement dans la misère. Les branches auxquelles ils tentent de s’accrocher cèdent l’une après l’autre. Leur dérive est une lente agonie, à la fin inéluctable, décrite avec une minutie chirurgicale (sadique ?) par Bove, bourreau au style sans affects, donc sans pitié, ni pour ses personnages, ni pour ses lecteurs. Ce livre est une épreuve, Bove nous jetant au visage ce que l’on se cache si facilement : notre indifférence face à la souffrance des autres, notre vanité à penser que l’on peut un jour tout abandonner (Perec a lui aussi bien tordu le cou à ce désir adolescent avec Un homme qui dort). On pense ici à La Faim de Knut Hamsun ou au Signe du Lion de Rohmer. À une nuance près : dans ces deux œuvres sur la chute, il y a une lueur au bout du tunnel. Chez Bove, la lueur, c’est un train qui vous fonce droit dessus. Au fond du trou, il y a la peur, la folie et la mort. Rien d’autre.
Paul Léautaud : « La Coalition par Emmanuel Bove. (…) Un vrai cauchemar ! J’en étais tout aplati. On n’a pas idée d’écrire de pareils livres. (…) On se voit soit même dans une déchéance de ce genre. Ce sont des livres qu’il vaut mieux ne pas lire »
J’ai lu La Coalition il y a des années et je sais aujourd’hui que je ne le relirai sans doute jamais. Pas besoin, il est là.


« Lorsqu’il eut refermé la porte de la chambre, il resta un instant indécis. Mme Aftalon dormait. Il apercevait, à la lueur de l’aube, les meubles misérables, les objets qui traînaient à terre. Finalement, il s’allongea tout habillé. Ses tempes bourdonnaient. Il entendait des bruits extraordinaires, des cloches, des trains, des sirènes. Il ne pouvait s’endormir. De temps en temps des sursauts faisaient qu’il se dressait, les yeux hagards, sur son lit. Soudain il crut entendre un cri déchirant. Il se leva d’un bond. « Maman, c’est toi qui a crié ? » Personne ne répondit. »

Emmanuel Bove, Romans, Flammarion 1988